
Où sont passés les experts ?
Qu’il s’agisse de la dangerosité des pesticides, des effets des perturbateurs endocriniens ou de l’évolution du climat, l’expertise scientifique constitue un pivot de nos sociétés démocratiques. Figure d’autorité située à mi-chemin entre « savoir et pouvoir », l’expert et sa parole ont été ébranlés dans les années 1990 avec les crises de la vache folle et du sang contaminé. La création d’agences d’expertise telles que l’Afssa en France (1999), puis l’EFSA en Europe (2002) a certes permis d’institutionnaliser la procédure, sans pour autant faire cesser les critiques. Derniers rebondissements en date, la publication d’un rapport sur la crédibilité scientifique de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, qui a remplacé l’Afssa), aux conclusions "peu flatteuses" (Le Monde). Ou encore la demande adressée par le ministre de l’agriculture Marc Fesneau à l’Anses "de revenir sur sa volonté d’interdire les principaux usages du S-métolachlore". Ayant en effet compétence pour délivrer les autorisations d’utilisation des pesticides, l’Anses a annoncé engager une procédure de retrait de cet herbicide en février dernier (France Infos).
Pensée pour objectiver une problématique et permettre aux décideurs de prendre une décision éclairée, l’expertise scientifique se trouve ainsi en crise… depuis au moins 30 ans. Une crise donc permanente entre soupçons de conflits d’intérêt, dénigrement d’évaluations et instrumentalisation par les pouvoirs politiques pour légitimer leur décision sous couvert de scientificité. L’expertise ne ferait-elle plus ses preuves ? D’autant qu’avec la crise du Covid-19, aux côtés d’un conseil scientifique dédié venant en appui du gouvernement, se sont ajoutées tous les experts plus ou moins autoproclamés, qui ont distillé leurs avis sur les plateaux radio et télé, jetant un peu plus le trouble sur cette fonction.
Dans ce contexte qui croire ? Que peut-on vraiment attendre de l’expertise scientifique en temps de crise ? Et quelles nouvelles formes d’expertise – collective, hybride – sont à même de redonner du sens à cet exercice ?
Co-organisée par la Mission Agrobiosciences-INRAE et le Quai des savoirs, cette rencontre-débat proposait de faire le point. Avec les analyses de :
- Jean-Pierre CRAVEDI, ancien directeur de recherche INRAE, ancien expert au sein de l’EFSA, président du conseil scientifique d’Aprifel ;
- Pierre-Benoît JOLY, président du centre INRAE Occitanie-Toulouse, spécialiste de sociologie de l’innovation, président du Groupe de travail "Crédibilité de l’expertise scientifique" issu du Conseil scientifique de l’Anses ;
- Didier POURQUERY, journaliste, président de The Conversation France et de Cap Sciences ;
- Bruno SPIRE, directeur de l’équipe SanteRCom (Inserm), ancien président de l’association AIDES.
LES CONTRIBUTIONS :
- "Le choix des experts : un enjeu démocratique" par François Saint-Pierre, mathématicien et responsable du Café Politique (Balma)
- "Les expertises scientifiques collectives sont des outils de la démocratie sanitaire", par Laurent Fleury, responsable du pôle Expertise collective à l’Inserm
- "L’expertise est toujours limitées" Par Mathias Girel, Maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure, Mathias Girel est notamment l’auteur de « Science et territoires de l’ignorance » édité aux chez Quae, en 2017
- "Sur Internet, ce n’est pas le statut qui fait l’expert mais sa capacité à convaincre." Par Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université Paris-Panthéon-Assas et auteur de "Le désenchantement de l’internet. Désinformation, rumeur, propagande" (FYP Edition, 2017, en illustration)
- L’expertise scientifique : une question mal posée ? Par Jean-Michel Hupé, chercheur CNRS en écologie politique au laboratoire FRAMESPA de l’Université de Toulouse Jean Jaurès et membre de l’« Atelier d’écologie politique »
- L’expertise collective à l’Anses. Explications sur l’expertise pluridisciplinaire à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail