
Thomas Huchon : auparavant, diffuser des fake news vous disqualifait, aujourd'hui, elles vous propulsent au pouvoir
Les théories du complot sont-elles nées avec notre époque ?
Pas du tout, cela a toujours existé. Par exemple, au Moyen Âge, au moment de l'épidémie de peste noire, les juifs ont été accusés d'empoisonner les puits. Plus tard, certains disaient que Marie-Antoinette mangeait des enfants au petit-déjeuner…
Pourquoi, alors, en parle-t-on autant aujourd’hui ? En quoi posent-elles autant problème ?
Ce qui a changé, c'est la manière dont ces théories sont diffusées. Avant, elles se propageaient essentiellement dans les milieux radicaux, extrémistes. Les théories du complot sont très liées à l'extrême droite et au fait de nier des faits historiques. Aujourd'hui, elles arrivent à toucher l'ensemble de la population.
En quoi ce phénomène est-il lié à l’émergence des réseaux sociaux ?
Les conversations qui avaient lieu au café du commerce se déroulent dorénavant sur des plate-formes comme Facebook, elles se diffusent sur le web. Or Internet est le média de l'archive : tout ce qu'on y diffuse reste et peut se propager. Cela change complètement la donne.
Les réseaux sociaux ne cherchent pas à nous faire réfléchir mais simplement à capter notre attention. Tout contenu qui joue sur les émotions comme la colère, l'indignation voire la haine est alors poussé par les algorithmes au détriment de celui qui favorise la réflexion. Ce phénomène est complexe, lié aux failles de notre cerveau, mais aussi à des entrepreneurs qui créent des buzz pharaoniques. Les complotistes ont aujourd'hui une audience plus forte que certains médias ! Derrière, des gens en tirent profit, qu'il soit électoraliste ou financier. Il n'y a pas si longtemps, mentir vous disqualifiait, aujourd'hui, non seulement ce n'est plus le cas mais cela vous propulse même au pouvoir. On l'a vu avec l'élection de Donald Trump.
Est-ce une fatalité ? Y'a-t-il une réponse citoyenne ou même politique possible ?
Même si je suis conscient d'être moi-même victime de mes propres biais et par là-même, assez pessimiste, il est temps de prendre conscience que la situation est assez dramatique et surtout de la nécessité de réagir ! Bien entendu, nous pourrions tous quitter Facebook et le problème serait résolu mais cela n'arrivera pas. Au niveau individuel, il faut développer son esprit critique, vérifier les informations.
Politiquement, une solution serait de changer le statut des GAFA. Actuellement, ceux-ci ne sont pas responsables des contenus qu'ils diffusent, contrairement à un media. S'ils étaient considérés comme de vrais supports de diffusion de l'information, ils devraient s'inscrire dans le cadre de la loi de 1881 sur la liberté de la presse et pourraient alors être attaqués pour toute diffusion de fausse information.
Les 22 et 23 mars, vous animez une formation d'éducation aux médias au Quai des Savoirs pour les éducateurs, médiateurs, enseignants. Que pouvez-vous leur apporter ?
Depuis 2016, j'essaie de développer une méthode pour faire prendre conscience des problèmes liés à l'information. Il est important de comprendre comment fonctionne « le faux » pour mettre en place de bons réflexes. Je suis longtemps intervenu directement auprès de lycéens, de détenus mais l'idée, dorénavant, est d'aller plus loin en formant des formateurs et ainsi démultiplier l'effet.
Et en tant que parent, que pouvons nous faire ?
Lorsqu'on est parent, on maîtrise souvent mal les codes du numérique, d'ailleurs la majorité des fake news sont propagées par les plus de 65 ans pour cette raison. Néanmoins, les « anciennes » générations savent mieux décrypter l'information que les plus jeunes qui, eux, à l'inverse, sont plutôt à l'aise avec les outils actuels. En utilisant ces forces, on peut mener une bataille culturelle contre les complotistes : se prendre pour un Hercule Poirot des temps modernes et faire de la vérification d'informations un vrai jeu !
Vous êtes enseignants, médiateurs ou éducateurs, la médiation scientifique et éduquer à l'esprit critique vous intéresse ? Il reste quelques places pour la formation des 22 ou 23 mars avec Thomas Huchon.