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Rencontre avec Mélanie Rochoux

Rencontre avec Mélanie Rochoux

Rencontre avec Mélanie Rochoux

Directrice de recherche au Cerfacs*

« Les mégafeux sont à la fois un symptôme et une conséquence du changement climatique. »

 

Comment naissent les mégafeux ?

Alors que le terme « mégafeu » est très usité dans les médias, les scientifiques utilisent plutôt le terme « évènement extrême » pour montrer que les mégafeux sont des phénomènes exceptionnels, tant par leur comportement (leur vitesse de propagation, leur intensité, la hauteur de leurs flammes sont bien supérieures à ce qu’il est possible d’observer dans des feux habituels), que par les phénomènes qui les accompagnent. Ils sont, par exemple, sujets à des feux de cime actifs (les arbres brûlent sur toute leur hauteur, ce qui accélère la propagation de l’incendie) et à de nombreuses sautes de feu (des braises sont projetées à grande distance sous l’effet du vent et peuvent induire de nouveaux départs de feu). Les mégafeux sont ainsi souvent caractérisés par de multiples foyers d’incendie actifs simultanément et peuvent créer leur propre météorologie. Tous ces phénomènes favorisent un comportement erratique des mégafeux, ce qui les rend impossible à contrôler.

 

La manière dont ils se propagent obéit-elle à une logique particulière ?

Par définition, les mégafeux restent des phénomènes exceptionnels encore peu observés. Toutefois, ils deviennent plus probables et plus intenses sous l’effet du changement climatique anthropique. La multiplication d’évènements météorologiques extrêmes depuis 2015 témoigne de ce changement de paradigme climatique. Dans ce contexte, les mégafeux sont à la fois un symptôme et une conséquence du changement climatique. Ils sont le résultat d’évènements extrêmes conjoints, c’est-àdire d’une combinaison de différents facteurs météorologiques qui, poussés à leur paroxysme, conduisent à des emballements du système climatique (ou boucles de rétroaction). Par exemple, les mégafeux ayant touché le SudEst de l’Australie en 2019/2020 sont issus d’une combinaison de sévères vagues de chaleur, d’une sécheresse chronique et de vents forts, et ont conduit à des impacts considérables sur le vivant. L’Europe n’est pas à l’abri, comme l’attestent les mégafeux au Portugal en 2017 et en Grèce en 2018.

Comment est-il possible de modéliser le comportement des mégafeux, qui semble par nature imprévisible ?

Un feu résulte des interactions entre les flammes, le vent de surface et le combustible. Ce vent de surface peut être modifié par le feu en raison des mouvements d’air ascendants et descendants induits par les forts dégagements de chaleur au niveau des flammes. Ce phénomène est d’autant plus marqué que le feu est intense, c’est en ce sens qu’on dit qu’un mégafeu va créer sa propre météorologie. Il est possible de mettre tous ces processus en équations dans une approche de modélisation multi-échelle allant de la végétation jusqu’à la couche limite atmosphérique. Ces processus ont leurs propres variabilités naturelles qu’il est nécessaire de prendre en compte en modélisant plusieurs scénarios qui couvrent l’ensemble des possibles, y compris les scénarios peu probables mais qui peuvent conduire à des phénomènes extrêmes. Modéliser les mégafeux nécessite une approche multidisciplinaire à l’interface entre sciences de l’incendie, météorologie, écologie et quantification d’incertitudes.

De quels outils disposez-vous ?

Il est possible de représenter les différentes échelles en jeu dans un feu via un couplage de modèles. Le modèle couplé inclut un modèle de propagation de flammes en surface et un modèle atmosphérique pour représenter le panache dans l’atmosphère et sa rétroaction sur le vent de surface. Le modèle atmosphérique est lui-même couplé avec un modèle de modélisation de surface pour représenter l’effet de la végétation sur le vent de surface et le combustible. À Toulouse, le Cerfacs collabore avec Météo-France et en particulier son centre de recherche, le CNRM, pour mettre en œuvre et valider un modèle couplé basé sur le modèle atmosphérique de recherche Meso-NH et le modèle de surface SURFEX. On travaille actuellement à mieux représenter le combustible dans le modèle couplé. L’étape suivante pour aller vers la modélisation de feux de grande ampleur sera d’y inclure la formation de pyrocumulonimbus, ces nuages d’orage qui sont caractéristiques des mégafeux.

 

A quoi sert cette modélisation ?

Est-elle en mesure de prévenir de nouveaux incendies ? Un tel modèle couplé feu/atmosphère permet de représenter la chronologie détaillée d’un feu et d’étudier ce qui peut provoquer des changements dans son comportement (par exemple, une accélération de sa propagation dans une zone géographique donnée). Cette modélisation présente ainsi un fort intérêt scientifique pour mieux comprendre les processus qui régissent le comportement d’un incendie et qui peuvent conduire à des phénomènes extrêmes (feu de cime, sautes de feu…). Elle présente aussi un enjeu certain pour la Sécurité Civile en complément des indices de danger actuellement produits quotidiennement par Météo-France pendant la saison des feux. Quand ces indices indiquent un danger très élevé sur une vaste étendue géographique, le modèle couplé pourrait aider à mieux discriminer les situations à risque et aider à la prévention des mégafeux. C’est l’objectif de long terme que nous poursuivons dans la collaboration entre le Cerfacs et Météo-France.

 

*Cerfacs : Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique